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TUNISIE XXI over-blog.com

Histoire moderne et contemporaine, Education, Pédagogie, Actualités politiques et socio-économiques, développement régional et Territorial,témoignage...

Les cliquetis de la mort

 

Les mois de juillet et d’aout étaient de loin les plus insupportables dans cette contrée reculée du pays profond ! Dans le milieu des années soixante du siècle dernier la chaleur torride, les coups de sirocco fréquents, la pénurie en eau potable, l’absence de moyens d’éclairage et l’état d’isolement faisaient du quotidien une lutte sans répit pour la survie ! Le plus dur à supporter était la chaleur suffocante qui accompagnait la tombée de la nuit après une journée caniculaire. La nuit toute noire qui enveloppe subitement le paysage rendait cette chaleur encore plus pesante et engendrait une peur sourde que tout le monde cherchait vainement à ignorer ! Les mises en gardes qui fusaient de la bouche de ses parents en étaient une confirmation on ne peut plus éloquente. « Ne marchez pas pieds nus ! », « ne vous asseyez pas près de la lampe à pétrole…sa lumière attire les scorpions…mettez la loin de vous… », « ouvrez-bien les yeux et soyez attentifs… ! ».

Les nuits  la lune tardait à se montrer et le pétrole venait à manquer s’annonçaient très longues !

***

Parfois, les coups de sirocco continuaient leur œuvre dévastatrice même de nuit. Ils soulevaient des nuages de poussière saline venant de la sebkha toute proche. Cette poussière extrêmement fine leur tombait aux yeux et leur collait à la bouche ! A la vision qui s’embrouillait encore plus s’ajoutait le gout salé de cette poussière ! Un risque autrement plus grave accompagnait ces coups de sirocco nocturnes et les nuages de poussière qu’ils engendraient. Sous le double effet de la chaleur suffocante et du vent poussiéreux, les reptiles, les scorpions et divers genres d’insectes et de petits mammifères quittent leurs gites diurnes pour - à la fois- prendre de l’air et chercher de la nourriture. Mais par ce temps-là , ce sont particulièrement les scorpions qui - sortant en nombre - présentaient un danger mortel. Très difficilement repérables dans la nuit noire, pouvant s’immiscer partout grâce à leur petite taille et à leur rapidité fulgurante, leur présence -quoiqu’invisible- donnait à tout le monde des sueurs froides !  A l’origine de cette peur poignante il y avait le risque réel de perdre la vie par une piqure de scorpion d’autant plus que le dispensaire le plus proche se trouve à quatre kilomètres, que les soins efficaces ne sont pas garantis et que les moyens de transport faisaient défaut. Bref, endurer cette peur nuit après nuit était un vrai supplice !

***

A l’époque, cette contrée était à l’état presque vierge. La morphologie présente une succession de monticules sableux et de terres salines (sebkha) de basse altitude. Elle résulte certainement d’une érosion à la fois éolienne et hydrique qui a dû s’étendre sur des millions d’années. Les monticules sableux plus ou moins étendus étaient appelés « Draa », littéralement « bras ». Ils ont donné leur appellation à la contrée tout entière. On l’appelait, on l’appelle toujours « Draa ». Ces « bras » de terre étaient couverts de cactus à perte de vue. Réputée par sa forte résistance à la chaleur et à la sècheresse dans une zone semi-aride, cette plante était une composante essentielle dans l’alimentation à la fois animale et humaine dans une économie agro-pastorale dominante. En effet, les plaques de cactus étaient utilisées pour nourrir les troupeaux de dromadaires. On y recourait aussi pour nourrir les troupeaux de moutons quand l’herbe se faisait rare. Quant aux fruits - les figues de barbarie dont la production s’étend essentiellement sur la saison automnale- les habitants en produisaient une confiture, le « rob », et en séchaient une partie selon un procédé particulier, il s’agit de la « chriha ». Cette « chriha » est stockée dans des sacs en peau de mouton et utilisée comme complément  alimentaire quand les réserves en produits alimentaires habituels se réduisaient surtout l’hiver. Les seuls espaces réellement exploités étaient les piémonts du Djebel Bu Dzer à l’est et du Djebel Lahzam au sud couverts d’oliveraies héritées de la colonisation française. Dès le milieu des années soixante débuta une sédentarisation qui - quoique timide au départ- ne cessa de s'affirmer depuis. L’école du village, construite en 1958, en était un facteur déterminant. Le défrichage de la terre, les travaux de labour et les débuts d’une culture irriguée traditionnelle et d’arboriculture s’accompagnèrent d’une lutte quotidienne, surtout l’été et l’automne, contre une faune venimeuse qui a trouvé dans ces contrées, longtemps peu fréquentées, un refuge sûr. Le risque d’attaques venimeuses était un danger réel qui guettait les habitants non seulement dans les champs et sur les routes mais aussi dans leurs propres demeures. Les nuits noires et suffocantes de l’été étaient, dans ce contexte, celles de tous les dangers.  

***

 Par une heure avancée de l’une de ces nuits noires et étouffantes leur parvint l’écho d’une voix atterrée qui intimait avec insistance et désespoir : « couvre-le, couvre-le bien contre le vent… ! ».  C’était la voix de quelqu’un qui dirigeait une charrette sur la route en terre battue qui menait au village, vers le nord. Cette phrase qu’emportait le vent sur un fond de cliquetis régulier occasionné par le mouvement de la charrette resta gravée dans sa mémoire ! Point besoin d’être savant pour décoder aussi bien la teneur de l’injonction que le ton sur lequel elle fut lancée. Il s’agit certainement d’une victime d’une piqure de scorpion ou peut être d’une morsure de serpent ou de vipère qu’on emmenait au dispensaire du village pour des soins d’urgence. Logiquement, ses chances de survie étaient minimes sinon nulles. Il avait déjà parcouru un peu plus de la moitié de la distance et il lui restait encore trois à quatre kilomètres à parcourir. Cela devait faire certainement plus d’une heure qu’il fut attaqué par le venin. A l’heure où ils interceptèrent cette intimation désespérée qui en disait long sur son état de santé, l’effet du venin devait être à un stade avancé. Les symptômes connus en sont des suées abondantes et un vomissement continu d’où l’ordre de bien le couvrir contre le vent. Les cliquetis occasionnés par le mouvement cadencé de la charrette et le son rythmé des sabots du mulet sur le sol dur qui leur parvenaient ajoutaient une teinte lugubre et poignante à l’image qu’il s’était faite de la situation.

Dans sa petite tête d’enfant, c’étaient des sons annonciateurs d’une mort certaine !

 

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Tunis 

7 Juillet 2021

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