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16 Mai 2018
Le projet de la mer intérieure tuniso-algérienne consiste en la création d’une mer intérieure dans le sud tunisien et le sud-est algérien, qui s’étendrait sur le chott El-Djerid, chott El-Gharsa en Tunisie et chott Melghigh en Algérie. Un canal de presque 200 km, avec 30m de largeur et 14 m de profondeur, serait creusé entre le Golfe de Gabes et le chott El-Gharsa pour amener l’eau de la Méditerranée. Un canal secondaire serait creusé à partir du chott El-Gharsa afin d’amener l’eau de mer au chott Melghigh en Algérie. Cette mer intérieure couvrirait ainsi presque 8000 km2. Ce projet trouvait sa justification dans certaines études scientifiques (géologiques, hydrographiques et de géographie historique) qui plaçaient le « grand lac de Triton » dans cette zone des chotts du sud tunisien et du sud est algérien, entre Gabes et Biskra. Toutefois, cette justification scientifique et historique était controversée, certains chercheurs plaçant le lac de Triton au niveau de Sebkhet El-Kalbia et de Sebkhet Sidi-El-Hani. Selon les dires du Commandant Roudaire , initiateur du projet, des vieillards de la région de Nefzaoua lui ont affirmé qu’ils trouvèrent les vestiges d’une embarcation : bois et clous…(?) enfouis dans les bords de chott El-Djerid.
* L’objectif fondamental de ce projet est d’ordre sécuritaire et militaire. La France, fraichement installée en Algérie, avait des difficultés sérieuses à pacifier et à contrôler les confins méridionaux du territoire algérien. Elle rencontrait des difficultés similaires à contrôler les frontières tuniso- algériennes à ce niveau.
La création de cette mer permettrait aux bâtiments de la marine française d’atteindre ces contrées et d’y installer une base navale ce qui garantirait aussi bien la pacification que le contrôle du sud de l’Algérie et de la Tunisie.
* En rapport avec cet objectif sécuritaire, ce projet vise aussi la fixation des populations des confins méridionaux des deux pays et le contrôle du mouvement des tribus, mouvement qui occasionnait toujours des problèmes pour le pouvoir colonial français en Algérie. Attendu que la création de cette mer intérieure transformerait le climat de cette région qui deviendrait humide, et vu la disponibilité en terres arables, les conditions seraient réunies pour le développement de l’activité agricole et la sédentarisation d’une population toujours agitée, en perpétuel mouvement et donc incontrôlable.
* La création de cette mer intérieure, exigeant des travaux de très grande envergure : étude scientifique et technique, creusage d’un canal gigantesque entre le golfe de gabes et les chotts, la création d’une base navale…occasionnerait la mobilisation de capitaux énormes et une dynamique économique qui aiderait à résorber – en partie- les crises conjoncturelles qu’a connu l’économie française durant la deuxième moitié du XIXème siècle.
3- Historique du projet
Les études menées par l’armée française dès 1843 sur le chott Melghigh au sud de Biskra furent à l’origine de cette idée de mer intérieure. Un militaire français, le commandant Roudaire en fut l’initiateur. Son insistance sur les bienfaits présumés de ce projet amena le pouvoir colonial à prendre au sérieux cette affaire. Ainsi, le 27 Avril 1882, le Président du Conseil des ministres, Ministre des Affaires Etrangères, De Freycinet, promulgua un décret instituant « La Commission Supérieure pour l’Examen du Projet de Mer Intérieure dans le Sud de l’Algérie et de la Tunisie ».
Cette commission dont les travaux prirent fin le 30 juin 1882, avait pour mission d’établir des conclusions se rapportant à trois centres d’intérêt : « 1°des moyens pratiques d’exécution ; 2°des conséquences probables qu’aurait l’établissement de cette mer, sous le rapport physique aussi bien que politique et économique ; 3°des clauses et conditions qui devraient figurer dans un cahier des charges, dans le cas où l’entreprise , étant admise en principe, paraitrait pouvoir faire l’objet d’une concession à l’industrie privée. ». Un deuxième décret portant la même date désignait les membres de cette commission.
Cette commission supérieure s’est scindée en trois sous-commissions : la première, composée essentiellement d’ingénieurs, s’intéresse aux aspects techniques du projet, la seconde de ses retombées « physiques » (climat, effets chimiques et hygiéniques) : la troisième de ses aspects politique, économiques et militaires.
Ces commissions ont tenu plusieurs réunions entre Mai et Juillet 1882, deux séances plénières sont tenues le 30 juin et le 7 juillet 1882. Un rapport final établi le 28 juillet 1882 clôtura les travaux de cette Commission Supérieure. Après avoir présenté les conclusions des trois sous-commissions susmentionnées, sa conclusion finale mettait fin à ce projet :
« La Commission……
« - Considérant que les dépenses de l’établissement de la mer intérieure seraient hors de proportion avec les résultats qu’on peut en espérer ;
Notons, enfin, que les autorités tunisiennes de l’époque étaient au courant du projet. Le commandant Roudaire, visita la Régence et effectua des recherches dans la région du Djérid et de Nefzaoua et avait profité des facilités beylicales : un interprète et une escorte durant son séjour et des lettres d’introduction à l’intention de l’administration locale.
Je me propose, à ce niveau, d’établir un résumé succinct autant que possible, des conclusions des trois sous-commissions susmentionnées, conclusions qui ont été à l’origine de l’abandon de ce projet.
L’état français laissa tomber le projet pour les raisons citées plus haut, mais le capital privé, sentant là une affaire juteuse s’accrocha à la réalisation de ce projet. Ainsi, Ferdinand De Lesseps, membre de la Commission Supérieure, fort de son expérience ( canal de Suez et canal du Panama) constitua une société et engagea quelques travaux d’exploration qui n’eurent pas de suite. Le projet fut repris vers les années trente encore une fois par les français, et ensuite vers les années cinquante, sans suite. Vers les années quatre-vingt du siècle dernier, la Tunisie et l’Algérie ont repris ce projet via un bureau d’étude suédois qui a conclu « à sa faisabilité technique mais à sa totale nullité pratique en termes de développement ».
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Hamdi Houcine, Inspecteur principal d’Histoire-Géographie
13 Mars 2013
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Sources :
Remarque : pour approfondir cette question, je propose aux lecteurs de consulter les documents cités dans les sources en effectuant la recherche dans le site : gallica.bnf.fr