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TUNISIE XXI over-blog.com

Histoire moderne et contemporaine, Education, Pédagogie, Actualités politiques et socio-économiques, développement régional et Territorial,témoignage...

Note à propos du projet de la « mer intérieure tuniso-algérienne »

 

  1. Présentation du projet

Le projet de la mer intérieure tuniso-algérienne consiste en la création d’une mer intérieure dans le sud tunisien et le sud-est algérien, qui s’étendrait sur le chott El-Djerid, chott El-Gharsa en Tunisie et chott Melghigh en Algérie.  Un canal de presque 200 km, avec 30m de largeur et 14 m de profondeur, serait creusé entre le Golfe de Gabes et le chott El-Gharsa pour amener l’eau de la Méditerranée. Un canal secondaire serait creusé à partir du chott El-Gharsa afin d’amener l’eau de mer  au chott Melghigh en Algérie. Cette mer intérieure couvrirait ainsi presque 8000 km2. Ce projet trouvait sa justification dans certaines études scientifiques (géologiques, hydrographiques et de géographie historique) qui plaçaient le « grand lac de Triton » dans cette zone des chotts du sud tunisien et du sud est algérien, entre Gabes et Biskra. Toutefois, cette justification scientifique et historique était controversée, certains chercheurs plaçant le lac de Triton au niveau de Sebkhet El-Kalbia et de Sebkhet Sidi-El-Hani. Selon les dires du Commandant Roudaire , initiateur du projet, des vieillards de la région de Nefzaoua lui ont affirmé qu’ils trouvèrent les vestiges d’une embarcation : bois et clous…(?) enfouis dans les bords de chott El-Djerid.

  1. Objectifs du projet

* L’objectif fondamental de ce projet est d’ordre sécuritaire et militaire. La France, fraichement installée en Algérie, avait des difficultés sérieuses à pacifier et à  contrôler les confins méridionaux du territoire algérien. Elle rencontrait des difficultés similaires à contrôler les frontières tuniso- algériennes à ce niveau.

La création de cette mer permettrait aux bâtiments de la marine française d’atteindre ces contrées et d’y installer une base navale ce qui garantirait aussi bien la pacification que le contrôle du sud de l’Algérie et de la Tunisie.

* En rapport avec cet objectif sécuritaire, ce projet vise aussi la fixation des populations des confins méridionaux des deux pays et le contrôle du mouvement des tribus, mouvement qui occasionnait toujours des problèmes pour le pouvoir colonial français en Algérie. Attendu que la création de cette mer intérieure transformerait le climat de cette région qui deviendrait humide, et vu la disponibilité en terres arables, les conditions seraient réunies pour le développement de l’activité agricole et la sédentarisation d’une  population toujours agitée, en perpétuel mouvement et donc  incontrôlable.

* La création de cette mer intérieure, exigeant des travaux de très grande envergure : étude scientifique et technique, creusage d’un canal gigantesque entre le golfe de gabes et les chotts, la création d’une base navale…occasionnerait la mobilisation de capitaux énormes et une dynamique économique qui aiderait à résorber – en partie- les crises conjoncturelles qu’a connu l’économie française durant la deuxième moitié du XIXème siècle.

3- Historique du projet

Les études menées par l’armée française dès 1843 sur le chott Melghigh au sud de Biskra furent à l’origine de cette idée de mer intérieure. Un militaire français, le commandant  Roudaire en fut l’initiateur. Son insistance sur les bienfaits présumés de ce projet amena le pouvoir colonial à prendre au sérieux cette affaire. Ainsi, le 27 Avril 1882, le Président du Conseil des ministres,  Ministre des Affaires Etrangères, De Freycinet, promulgua un décret instituant «  La Commission Supérieure pour l’Examen du Projet de Mer Intérieure dans le Sud de l’Algérie et de la Tunisie ».

Cette commission dont les travaux prirent fin le 30 juin 1882, avait pour mission d’établir des conclusions se rapportant à trois centres d’intérêt : « 1°des moyens pratiques d’exécution ; 2°des conséquences probables qu’aurait l’établissement de cette mer, sous le rapport physique aussi bien que politique et économique ; 3°des clauses et conditions qui devraient figurer dans un cahier des charges, dans le cas où l’entreprise , étant admise en principe, paraitrait pouvoir faire l’objet d’une concession à l’industrie privée. ». Un deuxième décret portant la même date désignait les membres de cette commission.

Cette commission supérieure s’est scindée en trois sous-commissions : la première, composée essentiellement d’ingénieurs, s’intéresse aux aspects techniques du projet, la seconde de ses retombées « physiques » (climat, effets chimiques et hygiéniques) : la troisième de ses aspects politique, économiques et militaires.  

Ces commissions ont tenu plusieurs réunions entre Mai et Juillet 1882, deux séances plénières sont tenues le 30 juin et le 7 juillet 1882. Un rapport final établi le 28 juillet 1882 clôtura les travaux de cette Commission Supérieure. Après avoir présenté les conclusions des trois sous-commissions susmentionnées, sa conclusion finale mettait fin à ce projet :

«  La Commission……

« - Considérant que les dépenses de l’établissement de la mer intérieure seraient hors de proportion avec les résultats qu’on peut en espérer ;

  • Est d’avis qu’il n’y a pas lieu, pour le Gouvernement français, d’encourager cette entreprise. »

Notons, enfin, que les autorités tunisiennes de l’époque étaient au courant du projet. Le commandant Roudaire, visita la Régence et effectua des recherches dans la région du Djérid et de Nefzaoua et avait profité des facilités beylicales : un interprète et une escorte durant son séjour et des lettres d’introduction à l’intention de l’administration locale.

  1. Les raisons de l’abandon du projet

Je me propose, à ce niveau, d’établir un résumé succinct autant que possible, des conclusions des trois sous-commissions susmentionnées, conclusions qui ont été à l’origine de l’abandon de ce projet.

  • Conclusions de la «  commission technique » : avis très controversés à propos des difficultés de réalisations partant de calculs qui ne furent pas validés par tous les membres de la sous-commission, le commandant Roudaire défendant presque tout seul la faisabilité du projet face aux ténors de l’Académie des  Sciences qui était un acteur principal dans ces travaux. Le cout global du projet estimé à 1.3 milliard de Francs Français de l’époque fut considéré comme trop élevé, d'autant plus que le profit escompté semblait faible.
  • Conclusions de la « commission sur les effets climatiques, chimiques et hygiéniques » : un changement climatique limité dans l’espace, plus d’humidité et moins de sècheresse dans les abords immédiats de cette mer intérieure, possibilité de diversification des cultures dans cet espace mais perte des palmeraies, risque de salinité excessive par endroits sous l’effet de l’évaporation….possibilité d’amélioration des conditions de salubrité dans la région.
  • Conclusions de la « commission des questions économiques, politiques et militaires » : effets économiques négligeables surtout au niveau commercial, les problèmes de relations internationales que pourrait soulever la création de cette mer sont minimes, il suffit de mettre sur pied une armature juridique adéquate en accord avec la Régence de Tunis. Sur le plan militaire, elle ne présente qu’un très faible intérêt…et l’aménagement du port de Gabes serait plus bénéfique.
  1. Epilogue

L’état français laissa tomber le projet pour les raisons citées plus haut, mais le capital privé, sentant là une affaire juteuse s’accrocha à la réalisation de ce projet. Ainsi, Ferdinand De Lesseps, membre de la Commission Supérieure, fort de son expérience       ( canal de Suez et canal du Panama) constitua une société et engagea quelques travaux d’exploration qui n’eurent pas de suite. Le projet fut repris vers les années trente encore une fois par les français, et ensuite vers les années cinquante, sans suite. Vers les années quatre-vingt du siècle dernier, la Tunisie et l’Algérie ont repris ce projet via un bureau d’étude suédois qui a conclu «  à sa faisabilité technique mais à sa totale nullité pratique en termes de développement ».

  1. En guise de conclusion
  •  D’après les documents consultés, je suis enclin à croire que le projet a été pris plus ou moins  au sérieux par les autorités françaises. Les décrets promulgués, les commissions et sous-commissions mises en place, les compétences mises en coopération, et les sommes allouées aux travaux de recherche et d’étude sur terrain…en témoignent.
  • Cependant, il est à noter aussi que le sujet fut traité de manière un peu hâtive, je dirais même expéditive : en quatre mois ! un laps de temps relativement court pour faire le tour de la question de manière exhaustive.
  • L’avis final de la Commission Supérieure française sur le projet fut la synthèse des conclusions des sous-commissions mais il était certainement conditionné par d’autres raisons qui me sont- à l’heure actuelle- inconnues. Une recherche plus approfondie sur la conjoncture française et internationale pourrait certainement éclairer davantage les raisons de l’abandon de ce projet.
  • Il est tout de même certain que les effets climatiques du projet sont négatifs, non seulement de par le risque évident que courent les palmeraies, mais aussi et comme conséquence directe de ce risque déjà cité, la fin de toute une culture ( lexique, littérature écrite et orale, savoirs- faire et techniques, traditions…) qui s’est forgée des siècles durant autour du palmier et des palmeraies.
  • Ce  projet  mérite - malgré toutes les appréhensions qu’il a soulevé - d’être repris dans son intégralité dans une option de coopération maghrébine, particulièrement tuniso-algérienne. Les sciences et les technologies ayant évolué, de nouveaux éclairages sur les questions scientifiques, techniques et économiques pourraient balayer, sinon préciser, les appréhensions des commissions françaises qui se sont penchées sur la question vers la fin du XIXème siècle.

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Hamdi Houcine, Inspecteur principal d’Histoire-Géographie

13 Mars 2013

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Sources :

  1. Ministère des affaires étrangères [République Française], Commission Supérieure pour l’Examen du Projet de Mer Intérieure  dans le Sud de l’Algérie et de la Tunisie présenté par M. le Commandant Roudaire. 1882.
  2. Le Projet de Création en Algérie et en Tunisie d’une Mer dite Intérieure Devant le Congrès de Blois. Extrait du compte rendu de la 13ème session de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences tenue à Blois en 1884, Paris 1885.
  3. L’Explorateur (IIIº VOLUME, Nº. 59, pour les 16 & 23 Mars 1876), La mission du Capitaine Roudaire en Tunisie et la mer intérieure,p.273.

 

Remarque : pour approfondir cette question, je propose aux lecteurs de consulter les documents cités dans les sources en effectuant la recherche dans le site : gallica.bnf.fr

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