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TUNISIE XXI over-blog.com

Histoire moderne et contemporaine, Education, Pédagogie, Actualités politiques et socio-économiques, développement régional et Territorial,témoignage...

La Régionalisation: une alternative pour la refondation du Système Éducatif Tunisien

 

  1. Les carences du Système Educatif Tunisien : un constat qui fait l’unanimité
  1. Personne, soit parmi le corps éducatif ou d’ailleurs, ne peut contester le fait que le Système Educatif Tunisien (SET) est presque totalement essoufflé. Arrivé à soixante ans, et comme tout corps vivant,  il prend un coup de vieux et endure les maux que génère la vieillesse !
  2. Ces maux sont perceptibles «  à l’œil nu » :

 -Le délabrement manifeste de l’infrastructure et des équipements scolaires, un état qui demeure toutefois relatif selon les régions. Il est fonction de l’ancienneté de l’implantation de l’infrastructure scolaire : plus cette implantation est ancienne, plus cet état de délabrement est plus marqué. Si l’on convient de ce qui précède, on pourrait alors dire que cet état de délabrement est particulier aux infrastructures scolaires du littoral tunisien : le Nord-Est et le Sahel Central et Sfax…il est moins marqué dans le pays profond pour la simple raison que l’implantation de ces infrastructures a été tardive en comparaison avec le littoral.

- Le vieillissement du cadre enseignant : une étude statistique qui mettrait l’accent sur l’âge et l’ancienneté des enseignants pourrait éclairer davantage le phénomène. Personnellement, j’en ai la preuve à une échelle spatiale plus limitée. Ce vieillissement du cadre enseignant est – tout comme le délabrement des locaux- un phénomène particulier et plus apparent dans les régions littorales pour les même raisons déjà citées.

- Le déficit de qualité du « produit » scolaire  va croissant depuis déjà des années. La faiblesse de plus en plus marquée des acquis des élèves, le laxisme latent qui ne cesse de gangrener nos établissements scolaires à tous les niveaux, l’absence de motivation…une certaine déontologie du métier dont les adeptes se font de plus en plus rares pour de multiples raisons dont  la dégradation de la situation matérielle du corps enseignant  n’est pas la moindre….Bref, point n’est besoin de continuer cette énumération « malheureuse » des défaillances de notre SET pour assoir la conviction qu’il a vraiment « fait son temps » et qu’il a besoin d’être « rajeuni ».

3. Autant de constats dénotent de la nécessité absolue de traiter  la question du SET et d’urgence. La mission de l’école tunisienne est à renouveler, ce n’est plus un choix, c’est une nécessité absolue. Les tiraillements politiques et idéologiques que connait le pays et qui sont en train de prendre pied sournoisement dans notre école  risquent de compliquer une situation initialement complexe et compliquée.   

4. Ce constat, quoique sommaire, peut faire l’unanimité. Au fait le problème ne se situe pas à ce niveau mais plutôt au niveau du traitement de cette situation. Deux questions fondamentales méritent une réponse bien réfléchie et objective autant que possible :

  • Quelles sont les causes qui ont conduit à la situation actuelle ? est ce qu’il s’agit des choix fondamentaux qui n’ont pas suivi une réalité socio-économique, une échelle de valeurs….et des besoins en perpétuelle évolution ? ou s’agit- il d’aspects « techniques » se rapportant au temps scolaire, aux apprentissages, aux mécanismes de l’évaluation….et autres aspects d’ordre organisationnel, de gestion et d’encadrement au sens large du terme ?

 - Réformer le SET ou le refonder ? Et suivant quels référentiel et principes ? Pour quels objectifs ? Avec quels mécanismes ? Dans quels délais ? ….

De la réponse à la première question découlerait la réponse à la seconde.

 Regardons donc de plus près la première question.

  1. Le paradoxe « originel »et les paradoxes «  secondaires ».
  1. Le paradoxe « originel » : le SET entre multiplicité et unicité.

 A une réalité éducative « multiple », la gestion « unique », bref l’école « unique » fut le maitre mot pendant des décennies. Cette multiplicité de la réalité éducative a toujours été combattue avec acharnement. Ce comportement qui s’est avéré avec le temps très nocif, dénotait d’une volonté louable à première vue de se débarrasser du legs colonial. Effectivement, à l’époque coloniale, l’école était multiple, mais cette multiplicité se basait sur des considérations ségrégationniste et racistes : il y avait l’école française et l’école arabe et l’école « mixte », sans parler des autres formes d’éducation informelle.

  1. Instaurer un système éducatif «  unifiée » était alors perçu comme un acquis de taille dans la lutte contre l’une des séquelles du colonialisme et l’école « unique » en fut le cheval de bataille. Cependant cette « unification forcée » cachait une volonté d’unifier la «  poussière d’individus » ( expression célèbre de H. Bourguiba qui  prétendait être « l’unificateur de la OUMMA » ( Nation) Tunisienne )  qu’était le peuple tunisien. Cette  action visait en fait la lutte contre la multiplicité et la diversité et s’était mue en une marche forcée vers l’établissement d’un SET qui refusait cette réalité diverse et multiple et tendait à établir une éducation stéréotypée ce qui produirait, avec le temps, des « citoyens semblables » et garantirait « l’unité nationale » contre toute velléités centrifuges de la part d’entités sociales essentiellement tribales et traditionnellement rebelles dans le pays profond , mais assoirait aussi le pouvoir de l’état et du parti unique. Le maitre mot de cette période d’après 1956 était « l’école unique » malgré la multiplicité frappante de la réalité socio-économique à l’échelle régionale. L’outil essentiel en fut la centralisation excessive de la décision au niveau de l’éducation.
  2. De ce paradoxe fondamental entre une réalité multiple et une « école unique » découle toute une série de paradoxes secondaires qui sont à l’origine des carences actuelles du SET.
  • Autant l’investissement dans l’éducation est important, autant les résultats qualitatifs se font de plus en plus maigres.
  •   Autant la gestion, sur papier, est « parfaite », autant le quotidien foisonne de malversation, complaisance et autre népotisme…
  • Autant les valeurs universelles sont partie intégrante des apprentissages, autant ils sont absents dans la pratique éducative au quotidien : brimades et autres pratiques dégradantes…Tout est cependant relatif, les bonnes pratiques ont toujours des initiateurs et des adeptes et c’est ce qui fait la particularité de l’école tunisienne.
  • Autant on alloue du temps pour promouvoir l’acquisition des langues, autant le niveau baisse de façon dramatique…une bonne partie de nos élèves ne comprennent plus ce qu’ils arrivent à lire quoique difficilement… ! Ce phénomène, perceptible pour les langues étrangères, est grave puisque ses méfaits atteignent les matières scientifiques. Pire encore, ce phénomène gagne du terrain puisqu’il a atteint la langue maternelle, l’arabe non seulement dans l’élaboration d’une réponse aussi bien orale qu’écrite mais, ce qui est encore plus grave, dans la compréhension d’un énoncé.    
  • Autant l’école prétend préparer à la vie active, autant elle ne produit que des chômeurs diplômés… et des gens qui butent à la première difficulté rencontrée !
  1. On peut continuer cette énumération des défaillances de notre SET, cependant le tableau n’est pas aussi sombre, les acquis de l’école tunisienne sont indéniables : une école pour tous, un taux de scolarisation assez élevé, des pratiques pédagogiques à la pointe du  moins théoriquement, une élite éducative de haute compétence et un grand nombre d’experts attitrés en la matière : nous confectionnons nos programmes, notre système d’évaluation, nos livres scolaires, nous gérons nous-mêmes nos examens…. Le Centre National Pédagogique (CNP), le Centre National de Formation des Formateurs en Education (CENAFFE), le Centre National d’Innovation Pédagogique et de Recherche en Education (CNIPRE), le Centre National des Technologies de l’Education (CNTE) sont le produit du génie tunisien et les fleurons de notre SET, malgré les réserves qu’on peut apporter à l’égard de leur fonctionnement et leur impact sur l’éducation en général.   
  1. La Régionalisation : une obligation pour refondre l’Education.
  1. Qu’est ce que la Régionalisation ?

Dans son sens le plus simple et le plus clair, ce terme veut dire «  transférer du pouvoir aux régions » , régionaliser veut dire «  décentraliser au profit de la région », régionaliser veut dire tout un choix de gestion de la « chose » publique , c’est  passer de la logique de contrôle à la logique de responsabilisation, passer de la verticalité à l’horizontalité, passer de l’exclusion à la participation, du travail sectaire au travail  collectif et participatif…L’enjeu de la régionalisation c’est l’équité, mais aussi l’efficience. Cependant, la régionalisation est impossible dans un système hautement centralisé.

Régionaliser l’éducation ne peut que s’inscrire dans une stratégie générale de régionalisation.

Est-ce que la régionalisation, en tant que choix stratégique dans la gestion des affaires publiques est un choix délibéré ou une obligation de bonne gouvernance ?

Est – elle tributaire d’un choix volontariste et subjectif ou un impératif objectif qu’imposent les derniers développements qu’a connu notre pays ?

  1. Le traitement de la question du SET ne peut se faire sans prendre en compte les nouveaux développements qu’a connus notre pays, en l’occurrence les aspirations populaires portées par la Révolution de 2011. Ces aspirations, et au-delà de toute palabre fantaisiste sont claires :

La Dignité et la Liberté, deux aspirations qui passent obligatoirement par l’instauration d’un partenariat réel et équitable à la Patrie, autrement dit une Citoyenneté « totale » qui mettrait fin à des décades d’exclusion et de marginalisation endurées par une large frange du peuple tunisien et surtout celle du pays profond, longtemps léguée aux oubliettes et traitée comme des citoyens de second ordre, et des populations des franges urbaines miséreuses.

La régionalisation est le choix organisationnel et de gestion le mieux indiqué pour pourvoir à ces aspirations. C’est en fait un choix politique d’abord. Est ce que l’élite politique et intellectuelle a le courage d’instaurer un pouvoir vraiment populaire qui rendrait aux tunisiens leur droit fondamental et élémentaire : s’autogérer, participer à la gestion de leur présent et à la préparation de leur avenir ?

La réponse à cette question est capitale : on ne peut pas régionaliser l’Education dans un cadre marqué par la centralisation comme choix stratégique ! ce sera une aberration de plus, quelque chose d’amorphe comme on en sait produire dans notre pays !

  1. En matière d’Education, la régionalisation permet de résoudre les paradoxes déjà cités et essentiellement le paradoxe majeur qui est à l’origine de toutes les difficultés qu’endure le système éducatif : multiplicité/diversité du fait éducatif, de son environnement et unicité/ centralisation de l’école au sens large : temps scolaire, apprentissages, évaluation, organisation et gestion…etc.

Dans le cadre de la régionalisation ; multiplicité et unicité dans l’éducation ne sont pas contradictoires, ils doivent plutôt être complémentaires, une école «multiple » n’est pas obligatoirement en contradiction avec une école « unique ». Cependant, les champs de multiplicité et d’unicité doivent être bien délimités.

  1. La Régionalisation implique d’abord la révision de la carte scolaire. L’organisation actuelle en Commissariat Régionaux de l’Education instaurée en vertu du décret 2205 / 2010 datant du 6 septembre 2010, quoiqu’elle ait concédé une autonomie financière totale aux CRE, épouse toujours le découpage administratif majeur du pays, ce qui dénote de la persistance des velléités centralisatrices, une vraie chape de plomb qui pèse encore lourdement, au propre et au figuré, sur le pays et son avenir.

La nouvelle carte scolaire, sous-tendue par la régionalisation de l’éducation, doit comporter un nouveau découpage basé sur la réalité du fait éducatif et non administratif. Elle doit dégager, suite à une étude scientifique rigoureuse, des « bassins scolaires » caractérisés par la similitude de l’environnement d’apprentissage et donc des besoins soit en infrastructures scolaires, soit en équipements éducatifs divers, soit en ressources humaines... C’est ainsi qu’on peut aboutir à une harmonisation de l’éducation à travers le pays, qu’on renoue avec l’environnement de manière positive et efficace et qu’on garantit un enseignement-apprentissage concluant. Ce nouveau découpage qui prend en considération cette réalité multiple permettrait une réponse adaptée aux besoins éducatifs, concèderait aux interventions de régulation et de remédiation une efficacité et un impact certain sur la réalité éducative puisque ces interventions sont ciblées et répondent à des besoins spécifiques et…particuliers. Bref, Harmoniser, oui ! Unifier, non !

  1. En deçà des effets positifs escomptés au niveau de l’éducation elle-même, la régionalisation de l’éducation a un effet d’entrainement sur l’environnement socio-économique. Elle peut provoquer une dynamique sociale et culturelle, comme elle peut faire partie d’une dynamique économique au niveau de la région. L’Education doit être intégrée au tissu socio-économique et culturel. Elle permettrait de raviver un sentiment d’appartenance à la patrie, sentiment qui s’est émoussé tout au long de ces dernières décades : tout le monde s’accorde que la Tunisie est un pays «  à deux vitesses », la fracture doublement sociale et spatiale entre le pays littoral et le pays profond ne fait que s’approfondir.

Une condition demeure cependant essentielle dans toute entreprise visant la refondation du  SET : la volonté politique. La classe politique tunisienne se doit de mettre le fait éducatif au-dessus de la mêlée : c’est une affaire nationale à priorité absolue, le salut de notre patrie passe obligatoirement et uniquement par l’Education, on ne le dira jamais assez.

Tout laxisme à ce niveau relèverait et sans exagération aucune du « crime historique », les générations futures ne nous pardonneront jamais cette nonchalance…regardons ce qu’endurent nos jeunes diplômés : chômage, déprime, dégout et malvivre…le silence est un luxe qu’on ne peut se permettre devant un tel ravage, une telle désolation.

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Janvier-Avril 2014

Hamdi Houcine

Inspecteur Principal d’Histoire-Géographie

Commissaire régional de l’Education-Tunis 1.

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